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A propos de l'Idéal dessalinien ou nationalisme de Dessalines.

22/08/2015 22:40
Idéal dessalinien ou nationalisme de Dessalines. 
Au lendemain de 1804, le premier mandataire de la Nation haitienne, Jean-Jacques Dessalines,devait faire face à des problèmes de tous ordres : absence de cadres techniques et administratifs, établissement des rapports commerciaux avec d’autres pays, la défense de l’Indépendance précaire et fragile. Cependant, malgré les faiblesses et les défaillances de son administration, Dessalines a su poser des actes remarquables et prendre des mesures géniales. Ces vues qui forment l’axe de son action politique se cristalisent dans ce que les historiens appellent couramment l’idéal dessalinien ou le nationalisme de Dessalines. Essayons de faire le jour sur les éléments constitutifs de cet idéal tels : l’intégrité territoriale, la souveraineté nationale, l’unité nationale, la justice sociale et la restructuration de l’économie nationale. 
L’intégrité territoriale 
Le principal souci de Dessalines était d’empêcher par tous les moyens la reconquête ou la recolonisation du territoire haitien par la France ou une autre puissance colonisatrice. Il veut à tout prix sauvegarder l’indépendance. Il avait pris toute une série de mesures défensives et offensives pour ce faire : organisation de l’armée, construction de forts, éliminination des Français et la campagne de l’Est. Pour éviter un retour éventuel des Français, il organisait une armée de 52,500 hommes soit 19% de la population avec Henri Christophe pour général en chef, faisait construire (par le décret du 9 avril 1804) des forts à travers tout le pays. Il entendait donner au pays la mer pour frontière. "Haïti doit avoir la mer pour frontière", déclarait-il. 
La souveraineté nationale 
1804, une indépendance conquise au prix du sang et des sacrifices des indigènes, Dessalines veut qu’elle soit inaliénable. Il exclut toute ingérence étrangère dans les affaires du pays. La Nation haitienne devait disposer d’elle-même sans compromission avec l’étranger. Avec Dessalines, toute immixtion étrangère doit être dénoncée et combattue sous quelque soit la forme qu’elle se manifeste. L’une des manifestation de cette souveraineté nationale reste et demeure la constitution du 20 mai 1805. Il vaut mieux que la nation disparaisse plutôt que d’être limitée dans la jouissance de sa liberté et dans l’exercice du droit de disposer d’elle-même. « Au premier coup de canon d’alarme, les villes disparaissent et la nation est debout », lit-on dans l’article 28 des dispositions générales de la constitution impériale du 20 mai 1805. 
L’unité nationale 
Le fondateur de la Patrie, Jean-Jacques Dessalines, avait prêché l’union nationale par cette déclaration : les haïtiens doivent vivre en symbiose et communier dans un même idéal patriotique. L’article 14 de la constitution de 1805 stipule : « Toute acceptation de couleur parmi les enfants d’une seule et même famille, dont le chef de l’Etat est le père, devant nécessairement cesser, les haitiens ne seront désormais connus que sous la dénomination générique de noirs : « Pour assurer la pérennité de la Nation, Dessalines avait réalisé un compromis entre les mulâtres et les noirs. L’Empereur souhaite que les haitiens, par des alliances de noirs et de mulâtres, deviennent un « peuple bronzé ». 
Prêchant l’exemple, Dessalines confie les plus hautes fonctions aux mulâtres, offre sa fille ainée à Pétion, fussille ceux qui cherchent à exciter le noir contre l’homme de couleur. Dessalines a voulu être le réconcialiateur de la famille haitienne en combattant le préjugé de couleur. 
La justice sociale 
Dessalines ne conçoit pas la stabilité de la jeune Nation sans une politique orientée vers le bien-être collectif. A ses yeux, 1804 n’a pas été l’œuvre d’une minorité, mais le résultat de l’effort de tous les indigènes qui avaient dépensé leur énergie pour combattre l’ennemi commun. Ils ont donc tous droit à l’héritage légué par les ancêtres. 
Aux privilégiés, anciens libres, qui désiraient faire mains basses sur les 2/3 de terres laissées par les colons, il répondait en bon justicier : « Et les pauvres noirs dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils donc rien ? ». il entend à ce que les biens de ces anciens colons soient gérés par l’Etat au profit de la collectivité. Nous avons tous travaillé pour l’indépendance. Toute le monde doit en jouir, reconnaît Dessalines. C’est pour éviter toute guerre civile entre les fils d’une même patrie qu’il avait fait des enfants naturels les égaux des enfants légitimes. La constitution leur accorde les mêmes droits. 
Restructuration de l’économie nationale 
Au lendemain de l’indépendance, l’économie haitienne était confrontée à toute une série de problèmes : absence de capitaux, de cadres techniques, d’orientation économique, de richesses. Dans le but de trouver des solutions efficaces pour résoudre ces problèmes, le gouvernement de Dessalines instaura le dirigisme économique devant permettre à l’Etat de contrôler strictement l’économie du pays et de lutter contre l’individualisme d’une minorité de privilégiés. 
Dessalines tente d’affronter le problème de la promotion économique du pays en étatisant les terres et en organisant le commerce, l’agriculture et les finances. 
Conclusion.- Le nationalisme de Dessalines ou l’idéal dessalinien est une doctrine nationaliste qui s’était fixé l’objectif de sauvegarder l’indépendance ou de défendre la souveraineté nationale. Dessalines voulait édifier une nation politiquement souveraine et économiquement stable. 
Partie II : Politique agraire de Dessalines 
Au lendemain de l’indépendance, l’un des problèmes fondamentaux à résoudre était la question agraire. Durant toute la période coloniale, il n’existait à Saint-Domingue que deux groupes de propriétaires : les colons blancs qui possédaient les 2/3 des terres et les affranchis qui détenaient l’autre tiers(1/3). Après le départ des colons, leurs 2/3 de terres étaient restées vacantes ou occupées frauduleusement par des anciens libres. Tous les groupes sociaux y étaient intéressés. Aussi Dessalines doit aborder la question agraire et y apporter une solution. 
Les privilégiés anciens libres estiment que ces terres doivent sans doute leur revenir de droit en tant qu’héritiers des colons parce qu’ils étaient pour la plupart leurs fils. Certains d’entr’eux étaient même détenteurs de titres que les colons, au moment de leur départ pour l’Europe ou Cuba entre 1802 et 1803 avaient passé à leur avantage, c’étaient sans doute des titres temporaires qui ne faisaient que renforcer leurs prétentions. 
D’un autre côté, les privilégiés nouveaux libres entendent devenir propriétaires à part entière. En outre, la masse des cultivateurs avait, depuis l’époque coloniale, pris goût à la propriété. Ils ont fait la révolution pour porter un des leurs au pouvoir, mais ils n’ont pas pour autant satisfaction. Pour eux, la liberté et l’indépendance n’ ont aucun sens sans l’accès à la propriété. Ils réclament le morcellement des terres. Quelle sera alors la position de Dessalines face à ce dilemme ? 
Pour Dessalines, cette solution doit être un élément dans la défense de l’indépendance du pays. Elle doit permettre au pays d’avoir une production abondante et commerciale afin de lui permettre d’assurer son ravitaillement en armes et munitions. Cette solution doit également permettre la participation de tous au bénéfice des terres. Dessalines décide de nationaliser les terres et de faire aussi de l’Etat le seul propriétaire. 
La solution de Dessalines va à l’encontre des prétentions des fils des colons. À ces mulâtres qui réclament les 2/3 de terres en héritage, l’Empereur répond : « Je m’étonne que les hommes de couleur aient attendu le départ des colons pour réclamer leur filiation… Et les pauvres nègres dont les pères sont en Afrique, ils n’auront donc rien. » 
Le 2 janvier 1804, l’Empereur prendra un décret annulant les actes notariés passés entre 1802 et 1803. La prétention des Nouveaux Libres est également écartée. Les terres des colons n’appartiennent à personne, mais sont confisquées au profit de l’Etat. Elles seront seulement affermées aux privilégiés. 
La solution de Dessalines n’a pas rencontré l’adhésion des masses, la grande propriété est maintenue au profit de quelque fermiers. Les cultivateurs seront mobilisés pour assurer la production et ils seront soumis à des règlements de culture trop sévères. 
L’idée de Dessalines de faire participer tous les groupes au bénéfice des terres apparaît dans le partage de la production. Il adoptait le système du quart : ¼ aux cultivateurs, ¼ à l’Etat, ¼ aux fermiers ou aux propriétaires fonciers, ¼ pour les frais. Mais cette solution ne donne satisfaction à personne. 
Les anciens libres se considèrent comme lésés dans leurs intérêts quand Dessalines a pris le décret du 2 janvier et celui de vérification des titres de propriété (24 juillet 1805). Pour les nouveaux, le titre de fermier est précaire et à n’importe quel moment on peut leur enlever la jouissance du bien. 
Quant aux cultivateurs, le caporalisme agraire leur rappelle l’ancien régime de l’atelier de l’époque coloniale. On leur laisse le quart d’une production destinée à l’exportation alors qu’ils n’ont même pas le droit de se rendre en ville. Comment peuvent-ils vendre leur quart sinon qu’aux propriétaires et aux fermiers. 
Conclusion.- La solution apportée par Dessalines à la question agraire est nationaliste. Cependant elle n’a donné satisfaction à personne. 
Elle était orientée à la fois contre les intérêts des couches privilégiées et non privilégiées. Rejetée par tous les secteurs de la société haitienne, elle a provoqué un mécontentement général. 
Partie III : Drame du 17 octobre 1806 ou drame du Pont-Rouge 
Le 17 octobre 1806, le père de l’indépendance, le fondateur de la patrie haïtienne, l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, est victime d’une conspiration montée par les hommes de l’ouest et du sud. Il est tombé sous des balles assassines. Ce crime odieux a suscité diverses réflexions chez les historiens qui ont voulu aller plus loin que les simples arguments évoqués par les conspirateurs. Les historiens sont presqu’unanimes à reconnaître que la question vitale de la propriété est la cause déterminante de la mort de Dessalines. Rechercher les véritables causes et les conséquences de ce drame, telle va être notre démarche. 
L’orientation de la question agraire du gouvernement de Dessalines prend une importance particulière et vitale dans l’explication du drame du 17 octobre 1806. c’est elle qui est à la base des événement conduisant à l’élimination physique de l’Empereur. Les différentes lois agraires prises par Dessalines en disent long. Par le décret du 2 janvier 1804, Dessalines nationalise les biens vacants laissés par les colons et considère comme nulles toutes les transactions foncières entre haïtiens et français datant de la période 1802 – 1804. Cette mesure vise à enlever toute possibilité de transactions entre certains colons qui, avant de partir, avaient passé leurs biens à des privilégiés anciens libres sours forme de donations, de ventes, de testaments et de baux à ferme. La constitution de 1805 déclare que « toute propriété qui aura appartenu à un blanc est incontestablement et de droit confisquée au profit de l’Etat Haïtien « . toutes les lois agraires prises par Dessalines notamment celle du 24 juillet 1805 décidant de la vérification des titres de propriété, lésaient les intérêts des propriétaires. Lors de sa tournée dans le sud en juin 1806, il a pris des mesures contre la bourgeoisie agraire et commerciale de la région. 
Mécontents, tous les dépossédés vont tramer un complot devant renverser l’Empereur du pouvoir le 17 octobre 1806. Pour avoir pris position contre les privilégiés sans l’appui des masses, son pouvoir était devenu isolé. La question agraire de Dessalines était à la fois cause fondamentale et cause occasionnelle de son assassinat. Mais elle n’en est pas la cause unique. 
Les mesures administratives et commerciales de l’Empereur jouent un rôle aussi dans son assassinat. Au départ, la corruption administrative était l’un des reproches adressés au gouvernement de Dessalines. Autour de l’Empereur, nous dit Thomas Madiou, une foule de fonctionnaires corompus pillent effrontément le trésor public. La gabegie était totale. L’Empereur possédait lui-même plusieurs guildiveries et entretenait ses nombreuses maîtresses avec l’argent de l’Etat. 
Brussquemment, le scandale était tel que Dessalines était déterminé de faire maison neuve dans l’Administraon Publique. Dessalines qui, bien avant, fermait les yeux disant à ses collaborateurs : « plumez la poule, mais attention qu’elle ne crie », finit par prendre des mesures de redressement pour combattre le vol administratif. Citons les décrets du 6 septembre 1805 et du 1er février 1806 contre les fonctionnaires pris en flagrant délit de fraude. Dantès Bellegarde est le premier à reconnaître que les privilégiés ont commencé à conspirer contre Dessalines à partir des décrets élaborés par ce dernier en vue de combattre le vol administratif. 
L’intervention de Dessalines dans les activités commerciales a aussi engendré le mécontentement tant dans le camp des nationaux que celui des étrangers. L’Etat se réserve le droit de livrer une certaine quantité de licences commerciales dans chaque place de commerce. Parmi les décrets qu’il a pris dans le domaine commercial citons celui du 1er aout 1805 fixant la responsabilité des négociants par rapport à l’Etat, celui du 10 janvier 1806 faisant obligation aux navires étrangers de composer régulièrement leur cargaison par tiers et celui du 2 septembre 1806 maintenant les droits à l’importation et à l’exportation à 10% comme à l’époque de Toussaint Louverture. Toutes ces mesures commerciales ont soulevé contre Dessalines l’animosité du commerce. 
Le caporalisme agraire de Dessalines provoquait le mécontentement des paysans. Le décret du 9 avril 1805 rétablit le régime agraire de Toussaint. Le fouet, le baton, les verges, la prison sont remis en vigueur. Le régime des ateliers, le travail en équipe sous la supersvision d’un conducteur de travaux se maintiennent et les revenus sont divisés en quatre parts : ¼ pour les cultivateurs, ¼ pour l’Etat, ¼ pour fermiers, ¼ pour les frais de culture. L’ancien esclave, partisan du morcellement des terres, se montrait hostile à cette politique qui lui rappelait l’ancien régime. 
La rigidité de Dessalines et l’ambition politique des Généraux peuvent s’ajouter pour expliquer le drame du 17 octobre 1806. c’est l’historien Thomas Madiou qui écrit : « L’Empire sombra dans le despotisme. Le régime de Dessalines fut une dictautre militaire dans toute son ampleur ». Les Généraux reprochaient à Dessalines son administration centralisée. Son pouvoir était sans partage. Tout était concentré à Marchand. 
Après avoir fait appel à Dessalines à la direction du nouvel Etat, tous les généraux convoitaient le pouvoir suprême. Christophe, lors d’une fête chez Dessalines, ne devait-il pas confier à Petion : « Nous ne devons pas nous laisser mener par ce petit danseur ». les généraux complotaient et Bruno Blanchet leur servait d’intermédiaire. Ces ambitieux ne pardonnaient pas à Dessalines son refus de créer une noblesse dans le pays. Dessalines se considère comme le seul noble. « je veux être le seul noble dans le pays », déclarait-il. 
Conclusion.- L’orientation de la politique agraire de Dessalines a provoqué un mécontement général. Elle est à la fois la cause vitale et la cause occasionnelle de son assassinat. Cependant, il y a de la part de l’Empereur d’autres initiatives ayant alimenté ce drame. Nous citons par exemples son autoritarisme, ses mesures administratives et commerciales, son refus de créer une noblesse dans le pays. 
Les conséquences du drame du Pont-Rouge 
a) Sur le Plan Economique : C’est la naissance du semi colonialisme. La voie d’Indépendance intégrale c’est-à-dire politique et économique recherchée par l’empereur est vite abandonnée après son assassinat par des privilégiés. Le rôle de régulateur de l’Etat dans la vie économique qui symbolisait le régime impérial est considéré comme une entrave au développement du pays. La colonisation commerciale de l’Etat embryonnaire va être entreprise par les puissances capitalistes de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord après le lâche assassinat de l’empereur. 
b) Sur le Plan Social : Ces deux ailes de l’aristocratie haïtienne s’étaient entendues pour se débarasser de celui qui les gênait dans leur égoisme rapace. Après le renversement, elles conserveront leurs «privilèges» ou leurs « domaines » les feront même agrandir par le système des dons nationaux. Le Latifundia est érigé en système. Pour éviter toute colère des defavorisés réduits à une très faible partie de la récolte (système du quart, du tiers ou finalement de moitié ou métayage), des concessions sont de temps en temps faites par des dirigeants habiles notamment Pétion (c’est le minifundia). 
c) Sur le Plan Politique : Par leur union contre « l’arbre de la tyrannie, les deux principales branches de l’aristocratie haïtienne avaient maintenu leur alliance qui avait permis la réalisation de 1804 mais ces principales ailes ne pouvant plus s’entendre, l’Empereur disparu, offrirent à la nation consternée le méprisable spectacle de la guerre civile. Il en résulte un schisme politique de 13 ans et la division du territoire national en deux Etats rivaux : le royaume du Nord dirigé par Christophe et la République de l’Ouest et du Sud gouvernée par Pétion. 
P.S. Je précise que l’expression « Pont-rouge » utilisé par la quasitotalité de nos historiens est postérieur à l’assassinat de Dessalines. Le pont, au moment de l’assassinat de Dessalines, s'appelait « Pont Larnage ». Ce qui revient à dire que c’est le sang de Monpremier Mondésir Jean-Jacques Dessalines qui a rougi le pont. 
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